jeudi 6 novembre 2008

Épisode 19 Totally politically incorrect

Je vais vous dire une atrocité, une chose qui ne se dit pas, mais voilà, faut que j’en parle.

Pour être bien dans le Nord, faut parler anglais.

Oh la la, je vais recevoir des tonnes de critiques pour avoir dit ça! Certains collègues vont me faire miroiter des anecdotes de connaissances lointaines (ou d’eux-mêmes) totalement heureuses et fonctionnelles au Nord sans même savoir dire yes-no-toaster. Oui, je sais: ma mère, infirmière au Nord en 1971, en est un exemple souriant, mais quand même...

Il va y avoir des représentants officiels de toutes sortes services publics qui vont m’accuser de faire diminuer le (déjà beaucoup trop) petit nombre de candidats unilingues prêts à tenter l’expérience nordique. C’est me donner beaucoup d’importance d’insinuer que, par mon blogue, j’influence le nombre de professionnels disposés à montrer travailler dans la toundra! Wow, faut pas exagérer!

Il va surtout avoir l’Office de la langue française au grand complet qui va me tomber dessus pour me rappeler qu’on est au Québec et que notre langue, c’est le français; la langue de travail, la culture et tout le tralala, c’est en français. Oui, je sais, je sais.

Je veux bien tout ça! Je suis d’accord avec le principe, mais mon analyse sociologique ne me permet de conclure qu’une seule chose : au Nord, ça se passe en anglais.

Tous mes élèvent ont l’inuktitut comme langue maternelle. C’est une langue sommes tout en bonne santé pour être parlée par un si petit nombre de personnes au monde (environs 35000). Les enfants apprennent à le lire et à l’écrire de la maternelle à la troisième année à temps complet et durant toute la suite de leurs études à raison de 3 fois/semaine. Bien sûr, comme toutes les langues minoritaires, elle a quand même à défendre sa place et à lutter entre tradition et évolution. On connaît la dynamique; on peut même lire un excellent dossier à cet effet dans l’Actualité de cette semaine.

Donc, tous les Inuits, par défaut, parlent l’inuktitut. Parmi les aînés, il y en a encore qui ne parlent que cette langue, mais la très grande majorité des autochtones du village parlent aussi l’anglais. Un bon nombre de jeunes font leur scolarité en français. Tous ces enfants au secteur scolaire français, mes élèves, parlent d’abord l’anglais. Ils ne l’ont jamais appris à l’école, mais c’est la langue d’usage après l’inuktitut au village, c’est la langue de Hanna Montana, de Metallica et de Rhianna, des films, de presque tout ce qu’on trouve sur l’internet et à la télé. À l’extérieur de l’école, très peu pratiquent leur français. En fait, plusieurs parents qui envoient leur enfant dans ma classe ne parlent pas français eux-mêmes. On connaît la difficulté des parents immigrants qui ne peuvent aider leurs jeunes à faire leurs devoirs dans la langue d’enseignement : c’est la même chose ici. Pourquoi alors envoyer les enfants étudier en français? Par ce qu’il faut bien faire un choix. Parce qu’on est au Québec et oui, ça influence les résidents de Quaqtaq à faire des efforts dans ce sens. Et rares sont les familles où tous les enfants sont envoyés étudier dans la même langue : il faut diversifier ses ressources familiales! Ça, c’est une compétence sociale intéressante!

Mais bref, j’ai beau enseigner en français, beaucoup de mes élèves ne parle français QUE dans ma classe. Aussitôt sortis de mon local (et même des fois à l’intérieur de mon local, grrrr…), ils s’adressent même à moi en anglais. Quand on parle de sujets délicats, quand je fais auprès d’eux des interventions émotives, quand on rencontre les parents, c’est en anglais. J’ai pris l’habitude d’aborder tous ceux que je ne connaissais pas (ou ne reconnaissais pas sous leur tuque et capuchon de parka) en anglais… J’ai plus de probabilité de me faire comprendre, de paraître sympathique, d’entrer en relation avec quelqu’un.

Je l'écrivais à Chantal l'autre jour: même aux chiens en libertés dans le village, qui m’escortent gentiment de la maison à l’école, le matin à 7 heures, je leur dis spontanément :« Please, bad loking dog, go to the grooming salon this morning! I’ve heard there is a new fashion going around, you could use it… »

Le seul problème, c’est qu’ils ne semblent pas trop me comprendre… ils ne reviennent jamais me voir bien brossés… Mais c’est peut-être juste parce qu’il ne savent pas c’est quoi, un salon de toilettage?!?



Et voilà les photos de la semaine passée : la chambre d'amis, la mer et l'hiver!

5 commentaires:

Elias a dit...

Merci pour les photos, c'est la première fois qu'on voit la nature dans laquelle se situe le village.

Very nice indeed.

Elaine B. a dit...

Well. You have to do what you have to do!

Ne me dis pas qu'ils ne lisent pas Pierre Foglia chaque mardi matin?

Unknown a dit...

Bonjour chère Marie.

J'aime beaucoup lire tes textes. Ils sont pertinentes, bien écrits et toujours teintés d'humour.

En passant, j'ai travaillé à Fort-Chimo (Kuujuaq) de 1970 à 1972.J'étais alors avec la Direction générale du Nouveau Québec. (D.G.N.Q.)À ce moment là, le Dr. Jacques Bouchard était le responsable médical de la Baie de l'Ungava.

J'ai toujours rêvé d'y retourner.

La situation linguistique n'a pas changé!!!

Je t'embrasse. Maman.

Unknown a dit...

coucou Marie.
Peux-tu enlever le 'e' à la fin du mot pertinentes. Merci, ce sont réellement de beaux textes pertinents.
J'espère que Marc-André fait un beau voyage.
Je t'embrasse.
Maman.xxx

Anonyme a dit...

Bonjour Boum-Boum!
je t'envie vraiment d'avoir un hiver avant nous... et j'ai toujours du plaisir à te lire... c'est comme retourner dans le temps de la course et de Oum!
Bonne semaine... et ne lâche pas pas maîtrise, je te comprends: ça prend bien du temps (même avec une connexion internet assez rapide!)
Nath