jeudi 25 septembre 2008

Épisode 13 Autocritique


Pour une fille qui est isolée dans la toundra, retranchée dans une communauté inuit, qui partage le quotidien d’un peuple autochtone de l’extrême et du froid, je trouve que je ne parle pas beaucoup d’eux. Pas de déclarations pseudo-anthropologiques de carte postale. Pas de photo d’Agaguk ni de son ours polaire. Dommage, ça fait généralement jaser autour de la machine à café… Mais à ma propre critique, je me réponds deux choses.

1) Je ne connais pas encore beaucoup le monde inuit :
je ne m’impose pas dans la vie de la communauté.

Tout le monde sait que les enseignants vont et viennent dans l’école et dans les villages nordiques à la vitesse d’une aurore boréale.

Certains ne terminent même pas le premier mois d’école. Le choc culturel est trop grand. La distance entre Quaqtaq et le plus proche MacDo-TimHorton-cinéma-feu de circulation est trop étourdissante. La vision de l’éducation au Nord est trop étrangère à la leur.

La majorité des enseignants ne revient pas après un an; l’appel du Sud, des amis, de la famille, d’une carrière plus « convenue » étant puissant.

Certains restent quelques années. Dans l’école où j’enseigne, l’enseignante aalunak (un mot inuktitut qui veut dire « qui n’est pas inuit ») qui est ici depuis le plus longtemps est arrivée il y a 4 ans… Seulement.

Pendant ce temps, et depuis bien avant, tous les autres profs sont venus habiter ici et sont repartis ailleurs. Les jeunes se sont attachés puis écorchés. Jusqu’à preuve du contraire, je fais aussi partie de ceux qui vont refaire leurs boîtes bientôt : je ne fais qu’un remplacement de congé de maternité d’un an, je ne sais pas encore ce qu’il y aura après!

J’ai au moins passé le cap du premier mois… et de la première neige! Mais je reste à l’écart, polie. Je fais bien mon travail; j'apprends des ados, des enfants. J’observe. J’évite de passer pour celle qui veut profiter de l’expérience nordique à tout prix, envers et contre le désir d’être invitée.

N’allez pas croire que je suis malheureuse, bien au contraire! Je suis très bien accueillie dans l’espace public, tout à fait intérgrée dans l'école, mais je ne m’impose pas dans le privé.

2) Je ne sais pas ce qui est « inuit » et ce qui est « juste relatif à l’isolement ».

C’est bête à dire, mais, en bonne plateausarde, je ne sais pas ce qui relève de la culture inuit de ce qui est purement un comportement de vie de village. Je n’ai jamais été entourée de si peu de monde!! Un exemple marquant : il y a un mythe qui dit que les Inuit ne savent pas vivre une peine d’amour. Est ce que c’est inuit ça ou est-ce que c’est juste le fait d’habiter dans une communauté où tout le monde est un peu ta sœur, ton cousin germain, ta tante, l’ex de ton frère ou une ennemie de longue date… Dans un si petit bassin de population, moi aussi je capoterais si j’étais en amour et puis que mon chum cassait après un certain temps! Hey, il va être tout le temps dans mon champ de vision! Et puis où trouver un autre prétendant?? Inuit ou pas, à être dans cette situation, je capoterais, c’est sûr!

Donc, il y a des choses qui me surprennent, mais qui ne sont pas inuit pour autant. Je vais sûrement bloguer à cet effet, mais au moins, si je prends le temps d’y penser, je vais nommer les choses correctement. Pour pas faire du blogue d’anthropologue de salon… ou du jugement de valeurs puériles. Et ça, ça peut prendre du temps.

Mais pas trop de temps, j’espère. De mon aventure, celle pour laquelle j’ai signé un contrat, 1/10 est déjà terminée… Ouff, Le temps passe vite!! Mathieu, depuis 1 an en Australie, me l’a confirmé hier… on "chattait", tout bonnement, des deux extrémités de la Terre. Impressionnant quand même! Salut Mathieu, on s’appelle et on dîne… quand on sera dans le même bout de la planète!?

jeudi 18 septembre 2008

Épisode 12 La rrrroutine habituelle, quoi!



Autre prof, un bon matin : T’es au courant Marie? La cour est en ville aujourd’hui.
Moi (étonnée de tout, donc surprise de rien) : OK.
(Silence)
- C’est la cour itinérante du Québec, ils viennent à Quaqtaq 3 fois par année… À cause du mauvais temps qui empêche les avions d’atterrir régulièrement, c’est plus souvent 2 fois par année… Alors, ça fait des journées très chargées! Fait que, ça veut dire que la majorité de tes élèves ne seront pas en classe aujourd’hui.
- Ah bon! OK.
- Ouais… tous les jeunes ont un parent/un frère/une sœur/un proche/eux-mêmes convoqués pour témoigner ou pour être accusés. Ceux qui seront en classe n’auront pas la tête à travailler, alors fais ton possible, juste pour les occuper!
- Oôôk…
- La cour s’installe dans le gymnase, il y aura beaucoup de monde dans l’école. Tu devrais t’arranger pour garder les quelques élèves qui tu auras avec toi pour la récré. Garde-les en classe, fais-les jouer à des jeux.
- Des jeux? Pas sure d’en avoir, mais OK, OK…
(Photo : révision du plan cartésien à la manière du jeu de Battle ship que j’ai fabriqué en 15 minutes! Pas pire!)

- Oh, et en passant, le dentiste sera au village demain. La majorité des élèves vont sûrement aller le voir…

La rrrroutine habituelle, quoi???? La routine, quelle routine??

Et débarquent les avocats en toge qui tiennent des séances d’aide juridique dans la bibliothèque, le juge dans le gymnase, le dentiste en sarrau au CLSC, les militaires en tenue de combat nordique au magasin général et autres groupes de chasseurs plus ou moins traditionnels en attirail de survie dans la toundra… Tous les jours, il y a quelque chose, dans la communauté ou carrément dans l’école; tous les jours, il manque des élèves en classe, avec de très bonnes raisons.

De plus, tous les jours sont soit un début de semaine (il faut se remettre de la semaine de pêche), un milieu de semaine (mercredi, difficile pour tout le monde, à St-Hubert ou à Quaqtaq) ou proche de la fin de semaine (faut pas trop en demander à l’approche du party qui se prépare). Tous les jours, une raison…

Et tous les jours, il y a aussi les absents sans aucune raison, parce que le réveil n’a pas sonné (un réveil, c’est quoi un réveil?), parce que l’asphaltage a été terminé dans le village (presque les 4km au complet!), parce que le lendemain de brosse est un peu trop difficile (la brosse des parents ou celle des élèves eux-mêmes)… tous les jours de mauvaises raisons.
De raison en raison, on enseigne tous ici sans routine, sans plan de vol. De jour en jour, je fais mon possible, je tente d’amuser mes ados en classe en faisant ce qu’on peut dans le contexte de l’isolement nordique qui, jamais au grand jamais, je rime avec prévisibilité!

D’ailleurs, à la grande surprise de tous, incluant les aînés du village, mercredi le 17 septembre, on a eu un blizzard. La neige, c’est impressionnant, mais comme il ne fait pas très froid, elle est mouillée et lourde, alors il n’y a pas trop de poudrerie. Mais le vent… le vent qui fait trembler ma maison. Ça me demande un peu de sang-froid de taper ce texte de manière concentrée… Oh… ma commande d’épicerie ne pourra sûrement pas m’être livrée demain, l’avion ne pourra certainement pas atterrir avant le retour au calme plat… C’est ça, le Nord! J’adore!

jeudi 11 septembre 2008

Épisode 11 Ce que je mange

La question de la semaine dernière, posée par Elaine, a réveillé chez vous, chers lecteurs, une passion intense et une curiosité maladive pour mon alimentation. J’ai reçu des tonnes de courriel me demandant, tour à tour, si je mangeais équilibré, si je mangeais assez et même si je mangeais tout court…

Ne vous en faites pas : les employés de la commission scolaire Kativik mangent! Et ils mangent, en grande partie, la même chose que vous pour la simple et bonne raison qu’ils font leur épicerie à la même place. Ce n’est pas une figure de style, je passe ma commande chez Métro, celui de Valleyfield. Il y a toutefois deux différences notables entre nos manières de faire l’épicerie.

Premièrement, je fais l’épicerie par fax.

C’est simple! Je peux commander tout ce qui se trouve dans le magasin, des produits laitiers, aux fruits et légumes, à la charcuterie en passant par les éternels magasines à côté de la caisse. Mais ça demande un peu de stratégie.

Si je veux un item que je connais, c’est facile : 2 kg de filet de porc ou 3 conserves de thon pâle dans l’eau. Une autre tactique très efficace est de se fier à la circulaire qui nous est livrée à l’école, laissée à vue dans la salle des profs. On a accès aux spéciaux comme tout le monde!

Par contre, ça devient un peu plus compliqué quand l’article que j’ai en tête n’est pas tout à fait précis.

Exemple : « euh… 2kg??? de clémentines » (ça fait vraiment pas beaucoup de clémentines, 2kg)
« recharge de savon à main liquide qui sent bon » (ouache, ils m’ont envoyé un truc au melon d’eau chimique…)
ou
« bonbons emballés individuellement qui sonnent comme « Raison » mais c’est sûrement pas comme ça que ça s’écrit ça n’a pas de bon sens qu’un bonbon s’appelle comme ça…»

C’est vraiment ce que j’ai écrit et, étonnement, j’ai reçu la bonne affaire! Ce qui n’est pas tout le temps le cas : j’ai commandé « 2 boîtes de pop corn micro-ondes sans gras ». J’en ai reçu une, tel qu’indiqué, et une autre, « extra beurre »…

Aussi, si un item est en rupture de stock, ce n’est qu’à la livraison de la commande que j’en suis informée. Dommage si c’est un ingrédient important d’une recette que je prévoyais me concocter!

Deuxième différence, je reçois ma commande par avion, avec un délai de 5 jours.

Encore de la stratégie, si je manque de quelque chose aujourd’hui, la journée de la commande est le dimanche et je ne reçois mes choses que le jeudi. Faut être très organisé.

La commande est emballée à l’épicerie, livrée à l’aéroport dans un camion réfrigéré. De là, elle prend l’avion, réfrigéré lui aussi, et puis de l’aéroport de Quaqtaq, c’est livré jusqu’à chez moi. Si je suis à la maison, c’est tiguidou! Par contre, si je n’y suis pas, c’est laissé devant ma porte. Le problème n’est pas la conservation, de ces temps-ci, il fait aussi froid dehors que dans un réfrigérateur, et bientôt, ça va plutôt être comparable au congélateur. Le problème c’est les chiens du village qui semblent aimer le popcorn.

Mais je ne sais pas s’ils le préfèrent « sans gras » ou « extra beurre »…
; )

La livraison n’est jamais « gratuite les mercredis »… En fait, la livraison coûte très cher, mais une partie est remboursée, à titre d’avantage social, par mon employeur. Pour les petits imprévus, il y a toujours la Coop, le magasin général de la communauté, mais la disponibilité des produits est limitée et les prix exorbitants. 2,12$ la cannette de boisson gazeuse, 4$ le casseau de champignons.

Salut, faut que je pense à ma prochaine campagne militaire de commande de bouffe, mes réserves de café sont un peu trop basses pour une semaine d’enseignement sur tous les fronts!

(Dans un prochain épisode : Ce que les Inuit mangent).

jeudi 4 septembre 2008

Épisode 10 Évènement historique, blessures véridiques

Cette semaine, j’ai promis à Elaine de répondre à la question « peux-tu bien me dire ce que tu manges? » et à Laurise de parler de perspective d’emploi chez les jeunes inuit… Je vais traiter de ces sujets très importants… une autre fois! Pour l’instant, l’actualité de la communauté et mon intérêt personnel dans l’observation des faits sociaux m’obligent à vous conter ce dont j’ai été témoin cette semaine.

Il faut savoir que je suis trop jeune pour avoir connu les grands chantiers de construction, les projets de développement qui ont transformé le paysage montréalais. L’autoroute 40, Place-Ville Marie, Terre des Hommes, les installations olympiques… J’adore en entendre parler, mais je n’en ai jamais senti l’excitation, l’attrait de la nouveauté, l’énervement de la première visite! Puis, tranquillement, le passage à la normalité : les structures gigantesques deviennent tout à fait banales dans le décor, comme si elles avaient toujours été là. J’ai toujours été fascinée par cette expérience architecturale que je n’ai jamais vraiment vécue.

Et bien, j’ai eu ce privilège à Quaqtaq cette semaine : on a asphalté une rue! Chers lecteurs, j’ai vécu une expérience digne de l’érection de la tour du stade, j’en suis certaine!

Quand je suis arrivée dans cette communauté, les quelques routes n’étaient que de gravelle. Le parc automobile compte, approximativement, pour les 300 résidents, une cinquantaine de pick-up et autres camions de service, beaucoup plus encore de « 4-roues-tous-terrains-machin » (qu’on appelle ici simplement des Honda) et tout plein de scooters conduits par les ados. Les routes de gravelles semblaient permettre à ces beaux bolides là de circuler dans les rues de la communauté. Bon, pas tout à fait moderne la gravelle, c’est vrai, mais je ne me suis pas arrêtée à l’étude de la chaussée; il y avait tellement d’autres détails qui me semblaient si particuliers au Nord (je vais, éventuellement, vous parler de ma toilette dans une prochaine chronique!).

Par contre, dès mes premiers jours ici, j’ai bien vu qu’on tapait la voie, qu’on la recouvrait de camions pleins de petites roches venues de l’autre bout du village et, un beau matin, la machine à asphalter la rue s’est mise à cracher son goudron noir. La fête dans l’école : impossible de retenir les jeunes à la récréation. Je n’avais jamais vu un chantier d'aussi bonne d’humeur, si loin des normes de la CSST sans pourtant qu’un seul incident soit signalé! Pendant les périodes de l’après-midi, le taux d’absentéisme était inquiétant chez les élèves du secondaire. Toute la journée, ça a été la fête dans la rue!

Toute la nuit aussi; les enfants ont paradé avec leurs rollers blades (qu’ils utilisaient jusqu’alors lors de leurs voyages « au Sud »), leurs vélos, leurs trottinettes, leurs souliers de courses à roulettes et tout plein de bâtons fluorescents lumineux. Cette ribambelle roulante était entrecoupée de scooters et de Hondas, décorés de lumières de Noël et de toutes sortes de guirlandes. Cette parade a duré longtemps! Des « vroum vroum » de moteurs jusqu’au petit matin. Je le sais, tout ce beau monde-là faisait demi-tour devant ma maison…

J’habite la maison verte à côté de la piscine. Maintenant, je dois plutôt la décrire comme étant la maison où l’asphalte se termine! Après 400m. de pavé (j’ai « photoshopé » le tronçon asphalté sur l'image Google Maps), le chantier s’est arrêté devant ma maison. Je ne sais pas trop pourquoi. Je suis une blogueuse, pas une journaliste d’enquête quand même!! Manque de matériel? Problème de machinerie? Chose certaine, sur les 4km de routes asphaltées dont on m’a parlé, il n’y en a à peine 10% complété. Si c’est pour être terminé cette année, il faut faire vite : dans un mois, un mois et demi au maximum, la route, asphaltée ou pas, sera recouverte de neige.

Mais déjà, la fête s’est calmée; c’est devenu tout à fait normal que la rue soit asphaltée. Mes élèves, à qui j’ai posé la question mercredi après-midi, m’ont même dit que ce n’était pas une bonne idée, l’asphalte à Quaqtaq : quand il y a des accidents, ça fait plus mal qu’avant! Et une de mes ados de me montrer les monstrueuses éraflures qu’elle a sur chacun de ses genoux… 2 accidents différents…

Pour l’instant, l’excitation asphaltée est retombée. Reste à voir si la fête reprendra à la poursuite du chantier : )

Salutations de ma « salle de rédaction », ma chambre confortable, que j’aime beaucoup!

À la semaine prochaine.