jeudi 28 mai 2009

Épisode 46 Le grand déménagement

Pour des raisons évidentes d’organisation de ressources humaines en région éloignée, la commission scolaire Kativik a déjà confirmé le retour en poste des employés désirant rester pour l’année scolaire 2009-2010. Aussi, elle a commencé les embauches pour les places vacantes. Les recrues commencent à prévoir leur déménagement en terre aride, là les conditions de vie sont extrêmes. La température? Les ours polaires? Non, la plus grande difficulté de la vie moderne confortable, c’est l’absence de Centre de rénovation! Cette semaine, j’offre gracieusement à ces valeureux aventuriers quelques conseils judicieux pour éviter les effets secondaires du sevrage de Home-Tire-Dépôt-Entrepôt.

Faut savoir
Contre un modeste loyer retiré à même notre salaire, les employés de la commission scolaire sont logés dans des habitations meublées. Le type d’habitation est déterminé en fonction de la taille de la famille qui déménage au Nord (avec conjoint et enfants ou pas) et des disponibilités immobilières dans la communauté. Poêle/frigo, lit, sofa, table et chaises sont dans la maison à l’arrivée. Certains de ces meubles ne sont pas neufs ni top design, mais tout est fonctionnel. Le reste : les objets de d’utilisation courante (vaisselle, télé, petits électros) et la décoration… c’est aux employés de les avoir. On nous accorde un bon nombre de kilos de déménagement payé comme avantage social.

À ne pas oublier dans ses affaires
Une chaudière, un balai, un tapis de salle de bain… Ce sont des détails, mais Oh! combien importants! Surtout dans les petites communautés comme Quaqtaq où on n’a pas le luxe d’acheter rapidement un article super précis sans passer par le catalogue Sears et avoir à attendre la livraison. Alors, dans la catégorie « ah oui, j’ai pas pensé à apporter ça », j’ai noté cette année :
* des petites lampes qui font de la lumière d’ambiance (pour tempérer les plafonniers aux ampoules écolo-truc surpuissantes, agressantes après une dure journée de travail),
* un rideau de douche, ses anneaux et une brosse à cuvette! Pratique!
* de la verdure (réelle ou artificielle, indispensable pour la santé du système nerveux)
* un téléphone avec un bon vieux fil (qui fonctionne quand il y a des pannes d’électricité... sinon, dans le noir d'une tempête, l'isolement est assez intense...).

Etre créatif
Une nappe, ça se transforme en rideau, nécessaire pour bloquer le Soleil de 3am. Ses serviettes à main, cousues deux par deux et rembourrées des restes d’un oreiller éventré, ça complète un ensemble de chambre à coucher confortable pour des heures interminables de lecture. Un large foulard devient aussi rapidement une parure de fenêtre opaque et coquette, surtout lorsque retenu par une broche, cadeau d’une grande amie. Une feuille de papier de scrapbooking directement collée au mur camoufle un trou laissé par le locataire précédent avec un certain charme. Un cadre pour photo posé à plat devient un très beau sous-verre à bougie pour protéger une belle commode en bois.

Encore faut-il avoir nappe, broche et cadre dans ses valises pour assurer la prestidigitation! Ce n'est pas nécessaire d'avoir des affaires très volumineuses à ne plus savoir ou les ranger. Il faut simplement penser à quelques objets qu'on aime et, surtout, être prêt à en réinventer l’usage.

Des adhésifs
Le secret de mon confort de cette année en me passant de quincaillerie et des tonnes d'outils… Je vais vous le dire, chers lecteurs, mais ça reste entre nous… Mon secret réside dans ma collection d’adhésifs. J’adore la colle même si, pour ne pas passer pour une junkie, je parle rarement de ma passion. Qu’un composé chimique retienne avec force deux pièces ensemble, c’est franchement fascinant! J’en ai donc de toutes les sortes : pour le papier, le bois, le verre, la céramique, le plastique et le textile (oui, celle qu'on vend à la TV, dispendieuse, mais excellente!). J’ai aussi du ruban adhésif (de 5 types), de la pâte hypoxie et, moins chimique, mais tout aussi important, des attaches, des cure-pipes et des « tie wrap ». Avec cet atirail de répatation qui rentre pourtant dans une boîte à chaussure, TOUT se fabrique et se répare.

Une lunette cassée (indispensable aux myopes de ce monde) : une goutte de colle et le tour est joué. Un jeans fatigué ou une brassière dont le cerceau cherche à s’enfuir : on leur ajoute un renforcement de tissu pour prolonger leur vie utile. Un machin-truc pour faire sécher le linge laissé en pièces dans le fond d'un garde-robe par les précédents occupants : du duck-tape et on le retape au complet. Une coloc qui vient partager votre maison : pas besoin de perceuse, de mèche et de hanches pour lui fixer une pole à serviette trouvée chez le voisin, la pâte hypoxie fait bien la job. Un rideau à inventer : coudre? Non : coller!

Morale de cette histoire : non seulement faut être prévoyant et avoir pensé à toutes sortes de petits détails qui rendent la vie agréable, mais aussi bien avoir avec soi le matériel pour les réparer, les bricoler et les transformer.

Bonne chance aux recrues 2009-2010! N’oubliez jamais que le plus proche Home-Tire-Dépôt-Entrepôt est pas mal loin, faut être débrouillard et préparé! C'est pas un voyage de hyppie lunatique que de venir travailler pour KSB. C'est un déménagement en bonne et due forme. Faut penser à être confortable dans sa demeure au risque de ne pas pouvoir avoir l'énergie pour enseigner toute une année.

jeudi 21 mai 2009

Épisode 45 Toundra au trot 2009


Dans quoi je me suis embarquée… encore! Je me suis posée la question souvent cette année!! Ça a commencé après la réunion du 18 août où on a séparé les tâches parascolaires. Je me suis portée volontaire pour coacher l’équipe de course cross contry sur toundra. Moi, entraîneuse d’athlétisme? Quelle drôle d’idée!

Je me posais la question avant chacun de nos entraînements du lundi après-midi, durant lesquels on courrait dans les couloirs de l’école. Nous avons établi un circuit, d’une extrémité de l'édifice à l’autre, aller-retour, mesuré avec une corde de 1m. entre les jambes d’un volontaire. Distance = 175m. Ils couraient. On comptait les tours de « piste ». Je mesurais le temps. Il fallait faire 2 km. Puis, à chaque fois, un peu plus. Le but est de se rendre à 3km sans arrêter. Gros bon sens, étirements et beaucoup d’encouragements. Qu’est-ce que je m’y connais?

Je me suis posée la question cet hiver après une conférence téléphonique avec les entraîneurs des autres écoles. J’ai réalisé que je ne faisais pas assez d’entraînements pour mes jeunes qui n’ont même pas de cours d’éducation physique cette année (faute de prof). Alors, nous sommes donc passés à 3 séances par semaine : notre lundi après l’école, une visite au centre de conditionnement physique du village le mercredi et puis un « entraînement express » le vendredi midi. On a couru. J’ai couru avec les jeunes, mais pas beaucoup. Je suis du genre cheerleader plus qu’autre chose. Je ne les ai pas fait courir dehors non plus. Personnellement, je n’aime pas ça courir dehors quand il fait trop froid, coureuse de tapis roulant que je suis! Dans quoi je les ai embarqués?

Le jeudi 14 mai, nous nous sommes présentés à l’aéroport du village. Des 6 coureurs que j’ai sélectionnés, seulement 4 ont accepté l’invitation pour aller à la compétition qui avait lieu à Kangiqsualujjuaq (aussi appelé Geroge River), sur la côte Est de la baie d’Ungava. Tour de manège gratuit : les vents sont forts, le petit avion est turbulent au point où 3 équipes d’autres villages n’ont pu être ramassées par notre vol nolisé.

Même météo pour les deux jours de compétition. Des vents forts, des nuages bas, des alternances de pluie figée et de neige mouillée. Je n’ai pas préparé mes jeunes à courir dans de telles conditions. Qu’à cela ne tienne, ils se présentent aux départs du 1km et du 3km et courent aussi aisément que si nous avions été dans le couloir de notre école. Ils sont athlétiques. Ils connaissent l’évènement qui a lieu annuellement. Ils sont préparés mentalement pour affronter le printemps nordique détrempé.

Eux savaient ce dans quoi ils se sont embarqués!

C’est la quatrième édition du Toundra au trot et ils veulent ramener les médailles dans notre communauté! Ils ont couru comme des gazelles. Aaron : médaille d’or au 1km chez les garçons Peewee et médaille d’argent au 3km dans la même catégorie d’âge. Nathan a eu le bronze dans au 3km chez les Bantam, et a manqué le podium de 2sec au 1km. Christina et Billie Ben, mes deux filles Bantam, ont aussi très bien couru et sont motivées à poursuivre l’entraînement et à obtenir des honneurs l’an prochain.

Au retour, encore de la turbulence dans notre petit voyage d’avion. Des hauts, des bas, des maux de cœur, et un village où on n’a pu atterrir. Redirection vers Kuujjuaq : c’est trop venteux au Nord on va attendre quelques heures avant de continuer notre chemin. C’est épeurant, mais je suis beaucoup moins nerveuse qu’à l’aller. Nous rentrons à la maison. Le Toundra au trot, maintenant, je sais ce que c’est. Ma mission est accomplie, mes jeunes sont des champions. Peu importe si on rentre un peu plus tard que prévu.

Un gros Merci à Nicolas Payette, conseiller pédagogique en éducation physique, à Gillian Warner enseignante à Kangiqsualujjuaq et toute l’équipe des organisateurs de l’évènement. C’est un super défi sportif, une belle compétition amicale. Et pour les coachs, on n’y pense pas souvent mais combien important, c'est une chance en or de rencontrer des enseignants des autres communautés nordiques. Belles rencontres!

Une chance que je m’y suis embarquée! Quelle fin de semaine mémorable, pour mes jeunes... et pour moi aussi! : )

jeudi 14 mai 2009

Épisode 44 On ne peut pas sauter la clôture quand y’a pas de clôture


J’ai travaillé, les deux dernières années, à l’école André-Laurendeau de St-Hubert sur la Rive-Sud de Montréal. Quand je m’imagine le matin, devant l’immense école dans la brume, j’ai d’abord en tête des images d’autobus scolaires. Des hardes d’autobus scolaires. Tout plein de petites chenilles jaunes qui se suivent, pare-chocs avant contre pare-chocs arrière, en attendant de pouvoir entrer le territoire de l’école et déverser leurs centaines d’adolescents à peine réveillés. Tous les matins, avec une régularité d’horloger. Une fois dans l’autobus scolaire, les élèves sont transportés loin de chez eux, confinés dans un espace indiqué par des clôtures, captifs à cause de la distance. Ils sont obligés de fréquenter l’école, au risque d’avoir à assumer la responsabilité de retrouver leur chemin en transport en commun…

C’est très différent au Nord, surtout dans un petit village comme Quaqtaq.

Le village compte une cinquantaine de bâtiments, tous très proches les uns des autres. On fait le tour complet du village en moins de 15 minutes à pied. Et l’école est en plein milieu.

Cette proximité offre certains avantages :
- T’as oublié la feuille que j’ai demandé de faire signer par tes parents? Retourne la chercher à la maison.
- Il n’y a pas de cours d’éducation physique? Pas de suppléant aujourd’hui? À la maison! Revenez plus tard. (Ouais… on imagine facilement que certains ne reviendront pas…)

Nulle part il n’y a de clôture. Le territoire n’est pas divisé. Ici, ce n’est pas le terrain de la Coop : c’est le village. Là, c’est pas plus chez le voisin que chez toi : c’est dehors. De dire que l’école commence ici et se termine là, qu’à l’intérieur de frontières imaginaires les règles de vie sont différentes qu’ailleurs, ce n’est pas toujours évident à faire comprendre.

Ça se sent dans la « cours d’école ». Il faut constamment répéter aux enfants que, pendant la récréation du primaire, pour des raisons de législations scolaires, on se doit de rester à l’intérieur d'un certain perimetre de neige... Il est encore mois évident de demander à des ados du secondaire de fumer à un endroit spécifique dans un rayon invisible de 2m. du poteau d’Hydro. Parce qu’ailleurs, dans l’immensité du dehors du terrain de l’école, c’est non-fumeur!

En additionnant les avantages de la proximité de tous les bâtiments et l’absence de frontières entre ceux-ci, les allers et venues des élèves sont quelques fois difficiles à gérer. Les élèves arrivent à n’importe quelle heure de la matinée. Ils choisissent de ne pas aller à certains cours en quittant simplement l’école entre deux périodes : la maison est toute proche. Ils peuvent aussi quitter en plein milieu d’une leçon « Boring », il n’y a pas de clôture, physique ou symbolique, qui les en empêchent. C’est une vie de village assez particulière. Dans combien d’autres villages, de tous petits villages, étendus sur des kilomètres de vide et de terres cultivées, les élèves sont dépendants de leur véhicule jaune. Pas ici.

Nous avons tout de même un autobus scolaire à Quaqtaq. Un minibus, haut sur pattes, quatre roues motrices. Super bolide. Son rôle est d’amener les élèves en sécurité à l’école, surtout les plus jeunes. Mais il ne sert pas d’instrument d’apprentissage de la routine scolaire. Il sillonne le village sans itinéraire précis, sans minutage serré. Passant devant l’école, il fait descendre les élèves avalés en route et il continue son chemin jusqu’à ce que la cloche sonne.

C’est quand même là que ça s’arrête. Il faut prendre l’autobus scolaire pour arriver à l’heure, au risque d’avoir à assumer la responsabilité de son retard, retard souvent impuni pour des raisons de difficulté à concevoir les frontières.

jeudi 7 mai 2009

Épisode 43 Dans un village sans bibliothèque ni librairie

Tous les vendredis commencent de la même manière dans ma classe de français : c’est vendredi-lecture. Je lis un chapitre d’un roman-jeunesse, puis on inscrit les noms des personnages dans un réseau, on fait un résumé du chapitre et on note les définitions de 5 mots nouveaux rencontrés dans le texte. On fait la même chose pour le chapitre suivant, mais chaque élève est alors responsable lire pour lui-même. Quand tout le monde a terminé sa lecture, on fait ensemble nos « personnages-résumé-mots nouveaux ». (P.R.M.N. comme ont abrégé mes ados branchés.)

J’aime beaucoup les vendredis. C’est calme. On lit des histoires.
Putulik (nom fictif ), vendredi passé, s’est pourtant rebellé :
- REPEAT, Marie, REPEAT!!!
- Euh... ??? On commence un nouveau roman; on l’a jamais lu celui-là!
- Pas l’histoire : Repeat, un livre. On en a déjà lu un, même plus qu’un. Je veux pas en lire un autre!

Pardon?? Je suis choquée. Un livre, on a déjà lu UN livre, ça donne l'absolution pour toujours, c'est suffisant pour attester de la compétence "lecture" en valeur absolue?
Faut que je lui explique que certaines choses doivent être répétée dans la vie!
Comme se brosser les dents. Comme faire son rappot d'impôt... Mauvais exemple : le jeune ne comprendrait pas vraiment. Comme laver la vaisselle. "Tu l'as fait une fois dans ta vie, tu n’as plus jamais à le faire jusqu’à ta mort parce que ce serait de la répétition?" Ses yeux rieurs me répondraient "Héhé, je ne ferai plus jamais la vaisselle!!" Autre mauvais exemple…

J’arrête le temps de réfléchir un peu puis je me lance :
- Parce que tu as fait du paraski une fois dans ta vie, t’as pas besoin d’en refaire, plus jamais? Ok, Putilik, je vais dire au directeur que du paraski, comme vous en avez déjà fait l’an passé, vous n’avez pas besoin d’en refaire lundi. Il va donc faire l’horaire sans prendre en compte mes élèves, c’est tout…

Oh.
C’est là que j’ai réalisé que malgré toute l’arrogance des ados de 13 ou de 18 ans qui sont devant moi, qui me « Reapat » et me « Boring » à toutes les minutes, j’ai quand même une certaine autorité. Putilik aime les activités à l’extérieur. Il est devenu tout blanc quand je l’ai mencé que ça n’ait pas lieu. Il s’est rapidement caché dans son bouquin pour lire à haute voix du haut de ses cordes vocales mutantes « Chapitre 1… ». À la fin de son petit spectacle de lecture, il a osé demander, d’une toute petite voix :
- On va-y aller, hein Marie, faire du paraski??

Putulik a lu, je n'ai pas eu à m'en occuper ce matin là. On s’est bien amusé, vendredi dernier, à l'écouter. Il a même essayé de faire des voix de personnages comme je le fais habituellement. On a lu un roman de plus dans nos vies! Mais je ne crois pas avoir enseigné l’importance et la beauté de la littérature par ce chantage si grossier: un quelques pages à lire contre un après-midi à jouer dehors. Peut-être que certains de mes élèves (d’ici et d’ailleurs) ne comprendront jamais le plaisir de lire. Ici surtout, sans bibliothèque, sans magazine, sans transport en commun où un bon roman est souvent comme une bouée de sauvetage. Harry Potter, Twilight, Anne la maison aux pignons verts... les versions DVD sont toujours plus facilement accessibles, plus facilement piratées. Il n’y a pas de modèles de lecteur de romans dans le décor nordique. Il n'y a pas de livres.

On a fini la période en faisant notre fameux P.R.M.N. habituel. Une élève me demande le sens du mot « Invectiver »…
- Invectiver, c’est l’action crier bêtises comme, des fois, ce qui se passe dans ma classe, quand un jeune crie des insultes à son enseignante
- Ah oui, comme Putulik quand il te crie « Repeat »!! Haha, je vais m’en souvenir!

Ah.
Au moins, on aura appris ça!
Et lundi le 4 mai, on a appris que le paraski, c’est très exigeant pour les bras. Ouch…