jeudi 27 novembre 2008

Épisode 22 L’homme qui a vu l’enfant qui a vu l’ours… ou est-ce un loup?

J’ai commencé à vous écrire une chronique que je conserverai pour plus tard. Je viens tout juste d’être dérangée dans mon travail par un coup de téléphone. Un autre. Encore. J’en reviens pas de ne pas vous en avoir parlé avant :

- Marie, je veux « viendre » chez toi. (Une voix d’enfant).
Même sans afficheur de numéro entrant, je reconnais facilement la petite personne qui est au bout du fil.
- Non, pas ce soir Briget, je suis en train de travailler devant mon ordinateur.
- (D’une voix haut perchée) Encoooooooore! Tu travailles « trop le temps », Marie!

Et oui, je me fais faire la morale par une gamine…

Si ce n’est pas elle, c’est une autre. Louisa, qui vient cogner à ma porte pour me conter toutes sortes de menteries, juste pour avoir mon attention. Sinon c’est Pauluse qui vient me dire que Kevin m’aime. Ou Kevin qui vient me dire la même chose au sujet de son acolyte. Lydia, elle, entre sans cogner, fouille et trouve toujours les bonbons que je change pourtant de place. Sarah ne vient jamais seule, elle est trop gênée, mais elle aime bien mon salon : elle trouve l’idée d’un vélo stationnaire devant la télé vraiment géniale! Peut-être pense-t-elle que j’ai inventé la chose!

Les enfants sont les princes de ce royaume du froid.
Ils sont partout, tout le temps.
Ils jouent, se promènent, se chicanent, jouent à chasser, chassent pour de vrai, patinent, à toute heure du jour et de la nuit. À partir de 6-7 ans, ils sont autonomes, libres, vraiment beau à voir. Vraiment difficile à concevoir des fois. Autour de ma table de cuisine, à manger des biscuits et à boire de la limonade, je me demande comment leurs parents ne s’inquiètent pas que leurs jeunes passent du temps avec des adultes qu’ils ne connaissent pas… et d’autres encore qu’ils ne connaissent que trop…

Mais je ne suis pas ici pour juger. Je profite de mes petits amis. Je fais un peu d’enseignement hors de l’école à des enfants qui sont beaucoup trop jeunes pour être mes élèves. « Lavez-vous les mains! » « Aujourd’hui, c’est un fruit qu’on va manger ensemble, pas des cochonneries… »

Encore, on cogne à la porte, je reviens (authentique).

C’est pas une farce, j’ai entrepris la rédaction de cette chronique en me disant que je n’ai pas de photo de mes petits visiteurs et en voilà 3 qui viennent juste de me faire une surprise, à la bonne franquette! Et bien, mon texte est maintenant illustré!

Ce sont deux de mes visiteurs qui justement ont vu lundi soir, en sortant de chez moi une ombre inhabituelle, dans le noir. Ça serait un loup, d’après eux! 180 degrés, de retour en trombe dans ma maison, les appels aux parents. Et il n’en fallut pas plus pour que ma maison soit entourée de véhicule aux phares aveuglants. Le téléphone a sonné, c’est une collègue, on chercherait l’ours. Un ours brun aurait été vu! Un ours brun ici? Oui, paraît-il!! Les chasseurs, les fusils, un vrai film de poursuite. Finalement, ça ne serait pas un ours brun, c’était devenu un ours blanc qui rôderait, qui serait affamé. Ça a duré des heures, des heures à voir tous les véhicules motorisés sillonner les 4 rues du village. Épeurant!

Mais, après un temps, plus rien. Finalement, c’est moi qui a passé quelques coups de fils en fin de soirée. On n’a rien vu, je devrais être en sécurité pour me rendre à pied demain à l’école. Ça a dû être Pierre et le loup, ou une autre histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours… Peut-être que c’était juste une trop grande imagination d’enfants…

Mais, deux jours plus tard, une carcasse importante est exhibée au village. Pas de photo permise, les Inuit sont strictes là-dessus. Ils ont eu trop de mauvaises presses à cause des protecteurs de l’environnement qui ne comprennent pas que c’est littéralement notre vie ou celle d’une « brave et innocente bête ». Toute écolo que je sois, je suis unilatéralement du côté des Inuit au chapitre de chasser pour survivre : je préfère avoir la vie sauve que de servir de déjeuner à un carnivore du sommet de la chaîne alimentaire. Croyez-moi, c’est impressionnant!

L’histoire s’est donc avérée vraie : Marie a vu l’enfant qui a réellement aperçu l'animal. Ici, il ne faut jamais prendre leurs histoires pour des enfantillages.

Tient, encore le téléphone (authentique)!

- Marie! Is my daughter still at your place?
C’est la première fois que ça arrive ça!
Mais où est-ce que tout le monde a eu mon numéro de téléphone?

jeudi 20 novembre 2008

Épisode 21 Cours de sciences intéressé

Bien que j’enseigne toutes sortes de choses, ici, au Nord, je suis d’abord et avant tout une enseignante de sciences. Je vais donc abuser de mes compétences professionnelles pour vous faire aujourd’hui un petit cours un peu tordu, mais d’une importance capitale pour mon bien être! Et, mes chers lecteurs, votre apprentissage sera tout à fait « authentique », parce mon exposé théorique trouvera écho dans la vraie vie, dans la mienne en fait, je l’espère bien! Hihihihi!

Roulement de tambour : voici un petit cours de sciences important.

Au Nord, c’est sec. C’est à cause du froid.

L’air, de manière générale, ne peut jamais contenir plus qu’une certaine quantité de vapeur d’eau. Le concept de saturation fait référence à la quantité maximale de vapeur d’eau possiblement contenue dans l’air.

Plus l’air est froid, moins il peut contenir d’eau.

Quand l’air est vraiment froid, il ne contient que très peu de vapeur d’eau. Même s’il est saturé, même s’il contient 100% de l’humidité physiquement possible, ce n’est pas beaucoup de molécules d’eau…

C’est ce même air de dehors, pauvre en vapeur d’eau, qui entre dans les maisons. Cet air est réchauffé (Dieu merci!) mais il ne contient pas plus d’eau (parce que « rien ne se perd, rien en se crée! » c’est là que ça sert les connaissances de chimie de secondaire 4).

Cet air chaud, qui contient très peu de vapeur d’eau, est sec. On dit par exemple qu’il contient 10% d’humilité relative, c'est-à-dire qu’il ne contient que 10% de ce qu’il est capable de supporter.

Et dans les maisons du Nord, il y a très peu de choses qui libèrent naturellement de la vapeur d’eau : pas d’aquarium, pas beaucoup de plantes, pas de longs bains dans lesquels j’adore me vautrer… Alors, l’air intérieur est très sec, le % d’humidité relative est très bas.

Pour être confortable, l’humidité relative à l’intérieur devrait se situer entre 40 et 50%, en deçà de quoi il y a beaucoup d’électricité statique, de problèmes respiratoires, les lèves gercent et la peau sèche… comme dans l’annonce où la femme se transforme en crocodile! SÈCHE, la peau, ouff…

Il y a donc certaines actions nécessaires à poser pour augmenter l’humidité relative. La Commission scolaire fournit, dans chaque logement, un humidificateur. Le mien roule en continu depuis 1 mois et va connaître une très longue saison d’utilisation. Une autre méthode de profiter de l’eau qui s’évapore c’est de faire sécher son ligne à l’air libre, sans utiliser la sécheuse qui sort toutes les précieuses petites molécules d’eau, par un gros tuyau, à l’extérieur de la maison. Et moi qui n’ai jamais possédé de sécheuse, j’étais super contente d’arriver ici et d’en avoir une, je m’étais acheté une grosse boîte de Bounce en feuille pour la première fois de ma vie… et je recommence à faire sécher mon linge sur la pole de rideaux de douche. C’est mon karma faut croire!

Mais bref, la sécheresse, au Nord, il faut y faire attention. D’autant plus que la peau exposée au froid, quand on va à l’extérieur, est très agressée. Elle sèche d’autant plus.

Et nous ne sommes qu’en novembre, je ne connais pas les grands froids encore!

Mais pourquoi ce cours de sciences me direz-vous, chers parents, chers amis?

Parce que si vous voulez me faire un petit cadeau de Noël, de la crème pour le corps serait tout à fait bienvenue! Je m’en étais apportée toute une réserve pour l’hiver et je suis déjà passée au travers… Soit dit en passant, j’aime beaucoup la crème St-Yves « Soulagement intensif » et les beurres corporels du Body Shop!

Merci bien ! : ) Hihihihi!!

jeudi 13 novembre 2008

Épisode 20 Le marché de l’art

Pour acheter de l’art inuit, il y a deux options.

La première est relativement facile pour tout le monde. Il suffit de se rendre dans une galerie spécialisée du Vieux-Montréal et de transiger avec des marchands d’art. Ils ont de belles pièces authentiques, transportées du Nord dans des caissons bien matelassés, présentées dans des vitrines super éclairées. On trouve bien sûr des sculptures et quelques couvertures, des peaux tannées et d’autres objets si particuliers à la culture du peuple du Nord.

On peut trouver de tout! Mais à un seul prix : excessivement cher.

La deuxième option pour acheter de l’art inuit implique de déménager dans le Nord. Moins évident que l’option de magasinage fancy dans le Vieux, mais la facilité de la suite des opérations vaut la peine d’être entendue. Inévitablement, pas longtemps après votre déménagement, quelqu’un va venir cogner à la porte de votre maison nordique pour proposer ses œuvres.

J’ai vu de tout passer dans mon entrée : des boucles d’oreilles en ivoire de narval, des pendentifs en pierre de la couleur de la toundra, des broches de toutes sortes. Je me suis acheté une bague en forme de béluga sculpté dans un bois de caribou. Elle est très belle; beaucoup de mes collègues en sont jaloux. Je suis d’autant plus contente de me l’être procurée qu’elle a été faite par un de mes élèves de secondaire 4, Sammy, dans son cours de culture inuit. Il l’a faite, il a prouvé ses compétences, il a eu une bonne note et il est allé faire fructifier son projet d’étape chez son enseignante. C’est ce qu’on appelle dans le jargon de l’éducation une « situation authentique », c'est-à-dire un projet scolaire qui demande du travail personnel dans une tâche qui trouve écho à l’extérieur des murs de l’école! Très « réforme », le cours de tradition inuit!

On est bien sûr venu me proposer des sculptures, surtout de la pierre à savon, de petite taille. Je suis toujours surprise :

- (knock, knock) You want to buy carving?
- Yes, heu… where is it?
- Here!

Et on sort un morse ou un pêcheur traditionnel d’une poche de manteau!

Je me suis acheté deux sculptures déjà, un phoque façonné par un professionnel et un inukshuk, la première sculpture à vie de Pauluse, un élève du primaire. Si on est habitué de voir de l’art enfantin, c’est généralement du dessin, de la peinture ou du papier mâché. Je trouve cette sculpture naïve, un homme de pierre au bras visiblement recollé, très sympathique!

On peut se voir offrir de tout! Mais à un seul prix : pas mal cher.

Le coût de la vie ici explique en partie les centaines de dollars qui se transigent dans les portiques. La demande aussi conserve les prix relativement hauts, parce que ce ne sont pas que les étrangers qui s’offrent des beaux bibelots et autres breloques. Les Inuit s’en procurent aussi beaucoup. Les femmes, surtout, arborent en tout temps des bijoux artisanaux d’une grande beauté.

La difficulté de cette méthode d’achat, c’est de prendre une décision spontanée. Acheter ou ne pas acheter, garder ou laisser passer. Pas de réservations. Négocier un peu. Payer cash et sur-le-champ. Pas de politique de remboursement si le lendemain, on vient proposer une sculpture qui conviendrait mieux comme cadeau de Noël pour les beaux-parents! Si je ne la prends pas, cette paire de boucles d'oreille, il se peut très bien que je les vois portées par une collègue dans les jours suivants.

Il existe bien une autre méthode pour se procurer de l’art inuit, mais celle-là est très difficile à prévoir... Trop imprévisible, bien que j'ai eu de la chance sans le savoir! Pour cet accès particulier au marché d'art inuit, il faut déménager dans le village où il y a la convention annuelle des artisans (sculpteurs, gaveurs, illustrateurs, brodeurs). À la fin de leurs trois semaines de formations et de motivation, ils exposent leurs œuvres, de petites, mais aussi de très grosses que l’on voit beaucoup plus rarement. Une chance unique de trouver des pièces qui ne seront jamais présentées aux acheteurs de Montréal. Je ne m’y suis acheté qu’un collier, une griffe d’ours polaire montée sur une pierre verte. De toute beauté!

J’ai vu toutes sortes d’œuvres extraordinaires! Mais à un seul prix : très cher.

jeudi 6 novembre 2008

Épisode 19 Totally politically incorrect

Je vais vous dire une atrocité, une chose qui ne se dit pas, mais voilà, faut que j’en parle.

Pour être bien dans le Nord, faut parler anglais.

Oh la la, je vais recevoir des tonnes de critiques pour avoir dit ça! Certains collègues vont me faire miroiter des anecdotes de connaissances lointaines (ou d’eux-mêmes) totalement heureuses et fonctionnelles au Nord sans même savoir dire yes-no-toaster. Oui, je sais: ma mère, infirmière au Nord en 1971, en est un exemple souriant, mais quand même...

Il va y avoir des représentants officiels de toutes sortes services publics qui vont m’accuser de faire diminuer le (déjà beaucoup trop) petit nombre de candidats unilingues prêts à tenter l’expérience nordique. C’est me donner beaucoup d’importance d’insinuer que, par mon blogue, j’influence le nombre de professionnels disposés à montrer travailler dans la toundra! Wow, faut pas exagérer!

Il va surtout avoir l’Office de la langue française au grand complet qui va me tomber dessus pour me rappeler qu’on est au Québec et que notre langue, c’est le français; la langue de travail, la culture et tout le tralala, c’est en français. Oui, je sais, je sais.

Je veux bien tout ça! Je suis d’accord avec le principe, mais mon analyse sociologique ne me permet de conclure qu’une seule chose : au Nord, ça se passe en anglais.

Tous mes élèvent ont l’inuktitut comme langue maternelle. C’est une langue sommes tout en bonne santé pour être parlée par un si petit nombre de personnes au monde (environs 35000). Les enfants apprennent à le lire et à l’écrire de la maternelle à la troisième année à temps complet et durant toute la suite de leurs études à raison de 3 fois/semaine. Bien sûr, comme toutes les langues minoritaires, elle a quand même à défendre sa place et à lutter entre tradition et évolution. On connaît la dynamique; on peut même lire un excellent dossier à cet effet dans l’Actualité de cette semaine.

Donc, tous les Inuits, par défaut, parlent l’inuktitut. Parmi les aînés, il y en a encore qui ne parlent que cette langue, mais la très grande majorité des autochtones du village parlent aussi l’anglais. Un bon nombre de jeunes font leur scolarité en français. Tous ces enfants au secteur scolaire français, mes élèves, parlent d’abord l’anglais. Ils ne l’ont jamais appris à l’école, mais c’est la langue d’usage après l’inuktitut au village, c’est la langue de Hanna Montana, de Metallica et de Rhianna, des films, de presque tout ce qu’on trouve sur l’internet et à la télé. À l’extérieur de l’école, très peu pratiquent leur français. En fait, plusieurs parents qui envoient leur enfant dans ma classe ne parlent pas français eux-mêmes. On connaît la difficulté des parents immigrants qui ne peuvent aider leurs jeunes à faire leurs devoirs dans la langue d’enseignement : c’est la même chose ici. Pourquoi alors envoyer les enfants étudier en français? Par ce qu’il faut bien faire un choix. Parce qu’on est au Québec et oui, ça influence les résidents de Quaqtaq à faire des efforts dans ce sens. Et rares sont les familles où tous les enfants sont envoyés étudier dans la même langue : il faut diversifier ses ressources familiales! Ça, c’est une compétence sociale intéressante!

Mais bref, j’ai beau enseigner en français, beaucoup de mes élèves ne parle français QUE dans ma classe. Aussitôt sortis de mon local (et même des fois à l’intérieur de mon local, grrrr…), ils s’adressent même à moi en anglais. Quand on parle de sujets délicats, quand je fais auprès d’eux des interventions émotives, quand on rencontre les parents, c’est en anglais. J’ai pris l’habitude d’aborder tous ceux que je ne connaissais pas (ou ne reconnaissais pas sous leur tuque et capuchon de parka) en anglais… J’ai plus de probabilité de me faire comprendre, de paraître sympathique, d’entrer en relation avec quelqu’un.

Je l'écrivais à Chantal l'autre jour: même aux chiens en libertés dans le village, qui m’escortent gentiment de la maison à l’école, le matin à 7 heures, je leur dis spontanément :« Please, bad loking dog, go to the grooming salon this morning! I’ve heard there is a new fashion going around, you could use it… »

Le seul problème, c’est qu’ils ne semblent pas trop me comprendre… ils ne reviennent jamais me voir bien brossés… Mais c’est peut-être juste parce qu’il ne savent pas c’est quoi, un salon de toilettage?!?



Et voilà les photos de la semaine passée : la chambre d'amis, la mer et l'hiver!