jeudi 29 janvier 2009

Épisode 29 Une bouteille d’huile et une coloc

Tout le monde fait attention à son alimentation.

On le sait, dans notre société, on est individuellement responsable de tout : son poids, son exercice physique, sa santé, ses actions en bourses, sa sexualité, sauver la planète… alouette! Et puis, tout le monde, sur la place publique, est un ange! Tout le monde prend ses responsabilités. Les gros sont au régime, les fumeurs ne parlent que d’écraser et puis les propriétaires de VUS, à les entendre, ne jurent que par le transport en commun.

Donc si je vous dis que je fais attention à mon alimentation, vous allez dire « ben oui, on le sait Marie, c’est d’une évidence!». Puis, vous allez hocher la tête de manière sympathique, me dévisager et analyser toutes les photos où on peut voir mes *discrets* bourrelets.

Mais je fais attention à mon alimentation! Et de manière maladive, je vous le dis!

Pas de friture. Jamais!

Sauf une patate des Belles Sœurs pour accompagner mon végéberguer, une fois de temps en temps. Rue Marianne. Mais, il est végé le burger, c’est ça de gagné, non!?!

Ah… et un rouleau impérial, sur le pouce, en courant devant le Wok du Chef, avenue du Mont-Royal.

Hum… aussi… un petit morceau de gâteau aux carottes des Co’pains d’abord, à l’occasion, les vendredis soirs où je le mérite, après une bonne semaine de gros travail.

Ok, ok, c’est pas 100% Guide alimentaire canadien tout ça, mais pas trop trop loin, quand même! Et puis, ça ne paraît pas tellement, inondé dans tous les petits achats et autres grignotines qu’on attrape en passant.

Au Nord, c’est différent. Je vis d’autant plus une vraie vie de moine qu’il n’y a pas sur mon chemin de boulangerie fancy, de resto thaï ni de snack-bar de quartier aux friteuses industrielles. Tout ce qui entre dans mon alimentation sort de mon garde-manger. TOUT! Et c’est là que j’ai réalisé que même sans faire frire quoique ce soit, même en faisant attention, de l’huile, j’en consomme beaucoup. Je m’étais commandé une grosse bouteille au début de l’année. Je pensais qu’elle me durerait jusqu’en juin. Et puis, à peine les premières semaines de l’année scolaire passée, à peine une vinaigrette ou deux touillées, une petite mayo pour faire la gastronome, presque fini, la bouteille. Et puis une autre. Le même sort. Je fais attention pourtant! Je ne fais pas « igloo, igloo » avec des shooter de Mazola! Je « bois » pourtant tant d’huile que ça?

Même chose avec le café. Il n’y a pas de Tim pour en percoler une tasse le matin. Toute goutte bue provient de ce qui arrive dans la commande d’épicerie. Je me rends compte qu’à raison d’un café par jour, la boîte de conserve, la GROSSE boîte, elle est de courte durée.

ET puis le lait. Et puis le pain. La mayo... Et puis… Et encore…

Mais maintenant, j’ai une coloc. Fiou! C’est tellement libérateur! On s’organise bien, elle et moi : on fait garde-manger et frigo commun. La bouteille d’huile passe encore plus vite, mais maintenant, je ne m’imagine plus que cette huile est entièrement encrassée dans mes haches à tout jamais. Je ne regarde plus la réserve de café baisser à vue d’œil en pensant avoir à me rendre dans un centre de désintox pour caféinomane à la seconde même de mon retour à Montréal.

Toutes les réserves baissent encore plus vite, mais je partage maintenant la responsabilité avec quelqu’un. Mais à travailler comme on travaille… et à s’entraîner comme on s’entraîne (vélo stationnaire et DVD de Pilates aidant, la piscine... des fois!), Audey-Anne et moi, s’alimentons objectivement très bien et sommes aussi en forme que jamais.

Pas si pire que ça finalement, malgré l’impression de surprise et de quantité.

Et puis, si j’avais l’occasion de voir tout le volume d’huile que je consomme au Sud habituellement, de la patate des Belles Sœurs et du gâteau des Co’pains, je pense que je ferais pas mal plus qu’une syncope.

Bon assez de visualisation, j'ai faim. Bon appétit!

jeudi 22 janvier 2009

Épisode 28 Pi-toi?

Pi-toi, pi-toi, pi-toi??? C’est pas le chant d’un oiseau local. C’est LA question.

« Pi-toi, qu'est-ce qui t’a motivé à monter au Nord? »

Dès la toute première conversation entre deux non-inuit, la question est soulevée. Systématiquement.

Le trip? Pas d’emploi? S’éloigner de la belle-mère? Amateur de plein air? S’isoler pour faire une maîtrise sur Internet? Fuir la justice… Tout a été entendu. Tout est valable. La question est posée, juste pour faire la conversation, pour construire un pont entre deux étrangers réunis par défaut en terre arctique.

Dimanche, j'ai soupé avec ma coloc et deux nouvelles amies infirmières. Après le repas, pendant les pauses commerciales du Banquier qu’elles m’ont fait découvrir, inévitablement, on en est venu là.

- Pi-vous autres, pourquoi être montées au Nord? Nous, on sait pourquoi les infirmières montent au Nord, mais vous, les profs, pourquoi?

- Ah oui? Pourquoi c’est évident que les infirmières montent et pas les profs?

- Ici, c’est sûr qu’il y a le salaire : plusieurs fois celui d’une infirmière au Sud. Job de jour. 2 gros mois de travail, un mois de congé complet chez nous. Mais c’est surtout les responsabilités de clinique qui sont intéressantes : presque comme si on était médecin considérant qu'il y en a pas au village. On n’aurait jamais cette pratique professionnelle si on était ailleurs. Mais, vous autres, travailler dans une école, être enseignante, ça serait pas mal partout pareil, non?

Non, oui, euh… pas tout à fait.
Oui, je suis enseignante ici comme je le serais partout ailleurs. J’ai une jolie classe, deux groupes d’élèves, je peste contre les retardataires, je remplis des bulletins, je chiale régulièrement contre la photocopieuse.

Mais, nulle part ailleurs, je n’aurais la pratique professionnelle que j’ai ici.

Par exemple: jamais je ne pourrais avoir à donner de cours devant un auditoire composé de… zéro élève! Bon, parlons-en, parce que ça m’est arrivé quelques fois maintenant. Dans mon groupe de 6 élèves, les plus vieux, un ne vient plus du tout, un autre se présente sporadiquement et les 4 autres sont généralement assidus… mais pas toujours. Surtout pas à la première période le matin. Il arrive que les 4 élèves ne soient que 3, ou 2, voire 1 seul… voire pas du tout. Assez étrange comme situation.

Je me suis déjà fait dire « Chanceuse, tu es payée pour te limer les ongles! »
Oui. Mais.
Oui, mais l’attente est difficile. Que faire s’il y en a un qui se pointe? Lui faire la morale alors que les autres qui n’ont même pas fait cet effort se défilent de mon discours plate? Que faire au prochain cours, pénaliser tout le groupe? Faire comme si j’avais donné le cours et puis continuer à la séance suivante sachant que TOUS mes élèves n’auront pas assimilé les notions précédentes? Oui, mais. Je n’aime pas être dans cette situation… Oui, j’ai été payée quelques 45 minutes à me limer les ongles, mais la manucure est ratée, le travail intérieur dépassait largement l’énergie habituellement nécessaire pour donner un cours. Jamais je ne répondrais à « Pi-toi? » par le souhait d'être payée pour ne pas enseigner….

Je suis rappelée à l’ordre. « Pi-toi, alors, pourquoi t’es prof au Nord? »

- Parce que, quand ils se présentent tous en classe pour un examen important (et ils se présentent généralement pour les examens importants), après m’être battue pour obtenir le silence (comme dans n’importe quelle autre école) et les avoir bien guidés dans la lecture et le compréhension de leur évaluation (comme dans le cadre de n’importe quelle circonstance semblable), corriger 5 examens, c’est le bonheur!! 5 examens, quelques 15 ou 20 minutes, ça c’est un avantage professionnel qui vaut la peine au Nord! 180 copies à corriger… ça ne me manque pas du tout!Pi-oui, enseigner au Nord, ce n’est pas toujours facile, mais comme pour les infirmières, c’est un boulot qui n’existe pas tel quel au Sud!

5 copies à corriger… Wow!!

jeudi 15 janvier 2009

Épisode 27 Import-export


- Dans quel village seriez-vous prête à travailler comme enseignante, Mme Aboumrad?

Wow, la question en entrevue! Faut pas se tromper… Diplomatie et délicatesse.

- Ben… j’aimerais bien travailler n’importe où… Sauf à Kuujjuaq. (Je regarde les visages des trois directeurs devant moi, OK…je continue) Parce que Kuujjuaq, c’est le centre administratif, c’est la métropole! Hey, 2000 personnes, c’est gros! C’est là que tous les avions arrêtent et qu’on a toujours quelques heures pour visiter entre un vol de First Air et d’Air Inuit. C’est là qu’on a une semaine de formation au début de l’année scolaire. Si je travaille dans un autre village, n’importe quel autre village, je vais connaître ce village ET Kuujjuaq, c'est l'avantage que je vois.

Ffffffffiou, j’ai eu à penser vite, mais j’ai été très fière de la formulation de ma réponse. Elle était sincère. Mais je l’ai tronquée du reste de mon raisonnement : je veux aller dans le plus petit des villages pour avoir un blogue exotique et des histoires extrêmes à conter à mon filleul quand il sera en âge de comprendre. Maintenant, tout l’univers est au courant, mais au moment de l’entrevue initiale, j’ai passé ces petits détails (très peu professionnels) sous silence!

- Alors vous seriez prête à travailler à Quaqtaq? On parle de quelque 300 âmes, moins de 30 élèves au secondaire, anglais et français confondus. Petit. Moins de ressources qu’à Kuujjuaq, vous en êtes consciente? Ça vous va? Oui? C’est bon! Le village est accueillant et il y a une piscine!

Rares sont les villages nordiques avec une telle installation. Et on m’a vendu la place PAR sa piscine. Je ne dis pas non! Première chose, quand on m’a embauchée à la commission scolaire et qu’on m’a dit que j’irai effectivement à Quaqtaq, dans ma boîte de déménagement : mon maillot.

On a une piscine, oui. Sauf qu’on n’a pas de sauveteur certifié dans la communauté. Question assurences et sécurité, il faut un life guard officiel dans une piscine publique. Aucun inuit au village n'a cette formation pour l'instant.

Alors, pour le moment donc, comme l’épicerie, les matériaux de construction, les policiers, les enseignants et les infirmiers, les life guards, faut les importer.

Une première était déjà en poste lors de mon arrivée. Lors de ma première soirée à Quaqtaq, je suis allée à l’aquaforme. Proche de la maison, vous dites? Difficile d’avoir plus proche en fait! (Photo : Ma maison et la piscine municipale! J’y vais, pieds nus dans mes bottes Sorel!)

Mais la jeune fille n’appréciait pas la vie nordique. Elle est donc partie, dans le même avion que son cargo, exportés vers le Sud. La piscine a été fermée. Pas de permission spéciale pour les enseignantes, la policière et l’infirmière motivées à faire de l’aquaforme, même si notre infirmière du moment a déjà fait partie de l’équipe canadienne de natation et est plus que qualifiée pour nous ramener à la vie en cas d’accident. (Il faut savoir que les infirmières du Nord sont vraiment des spécialistes de la médecine de brousse qui ont tout vu, même l’impensable). C’est compréhensible que la ville ne donne de permission spéciale à qui que ce soit. C’est d’autant plus compréhensible que la personne embauchée pour habituellement sauver les noyés est aussi responsable de l’entretien de l’eau et des installations sur une base quotidienne. Pas de maître nageur, pas de piscine, point final.

Puis on a importé Raphaëlle qui est venue à la fin octobre. Aquaforme 3 fois par semaine! Problème de chauffe-eau (qui ne chauffait pas assez), quelques fois, j’étais seule dans la piscine à faire la grenouille. Pour un entraînement de mon équipe de Toundra au trot (course cross country), je leur ai fait faire une séance d’endurance dans l’eau. Un cours de sciences physiques sur la notion de débit? À la piscine! Avec un taux record de présence en « classe »!

Mais à Noël, Raphaëlle est descendue au Sud et n’est pas revenue. Auto-exportée ailleurs.

Conclusion, plus de piscine à Quaqtaq, encore.

C’est dommage, la piscine est un lieu de rassemblement, des jeunes et des ados surtout, une activité à faire, un passe-temps sympathique et relaxant; le Spa placé sur le côté de la piscine aidant! Il y a peu de temps, je ne comprenais pas mes amis qui en ont un dans leur cours arrière de banlieue, les croyant pas efficaces dans leurs dépenses d’énergie et d’argent. Ouais… Un Spa qu’il faut importer de l’autre bout de l’univers industriel et qu’il faut maintenir 600C au dessus de la température extérieure pour être confortable, c’est encore plus drôle dans l’échelle de l’inefficacité énergétique! Mais, c’est que c’est agréable après une journée d’enseignement, le Spa… envahi… par… mes… élèves... Finalement, pas si reposant que ça, le Spa!

C'est quand même vrai que Kuujjuaq a certains avantages, comme celui de se perdre un peu dans la foule, la fin de la journée scolaire venue!

jeudi 8 janvier 2009

Épisode 26 La chasse-galerie

On connaît la légende.

Le diable propose un tour de canot volant aux ouvriers isolés pour leur permettre de passer les fêtes dans leur village tant aimé. Si l’un d’entre eux maque le bateau, après la fête terminée, tous périront brûlés, ignorés pour l’éternité. Et, bien évidemment, dans le conte, c’est exactement ce qui est arrivé!

De grand froid au grand feu… Pas trippant de finir en guimauve carbonisée pour ne pas avoir été à son affaire. Pas toujours évident non plus de se rembarquer dans la routine en région éloignée après des vacances auprès des siens. Mais la morale est intéressante : quand t’acceptes un contrat d’un an, faut faire l’année au complet.

Mon histoire à moi ne finira pas dans une chanson épique à la conclusion tragique : le voyage de retour à Quaqtaq n’a pas été aussi pénible que celui de l’histoire des bûcherons. Personne n’a manqué le bateau. Au contraire, on a eu l’occasion de rencontrer en vol deux nouveaux membres de notre équipe-école, Joseph le prof d’éducation physique et Audrey-Anne, prof de 3e année au primaire, qui est aussi ma nouvelle coloc.

Jusqu’à un certain point, pendant le long déplacement du Sud au Nord du Québec, j’étais heureuse, un peu soulagée, de m’en retourner « chez-moi ». Un chez-moi temporaire, mon environnement zen de travail, d’entraînement, d’études. Je ne pense pas m’installer à long terme au Nord. J’ai trop à faire, à observer, à comprendre, à aimer, dans mon patelin d’origine. Mais j’apprécie beaucoup ce cadeau d’une année dans la toundra, à apprécier la culture inuit et à m’isoler de tout le reste, le temps de souffler un peu. La crise économique : c’est dans un autre univers. Gaza? Les horreurs ne s’entendent pas 25 fois par jour à la radio dans l’auto… Pas d’auto. Pas de radio non plus d’ailleurs.

La deuxième portion de l’année scolaire, celle qui va de Noël jusqu’à Pâques, est donc entamée et la vie continue.

Le père gravement malade d’une de mes élèves va beaucoup mieux.
Le bedon rond d’une autre commence à montrer des signes d’une grossesse devenue difficile à cacher.
Le cours de sciences avec mes secondaires 3-4-5 doit commencer à rouler un peu plus pour que tous soient prêts pour l’examen de la commission scolaire en février.
Le projet de vidéo avec les secondaires 1 et 2 devrait être mis en branle sous peu.
Partir à l’école le matin, seule, dans le noir, triste de ne plus me faire escorter par le chien borgne du voisin qui semble avoir disparu dans la nature.
Pester contre les élèves retardataires.
Jouer à la police des cigarettes. Grrrrr…
Contrebalancer la rudesse de certains jeunes par autant de patience.

Une année scolaire quoi... à la fois comme dans toutes les écoles et comme nulle part ailleurs.

J’ai donc repris la barque à temps, sans que le maître de la classe-gallérie ne me transforme en citrouille grillée. Question que le diable ne s’emporte pas (en me chargeant des frais épouvantables en excédant de bagage), j’ai même laissé mes nouvelles bottes brunes à la maison, (celle de Montréal), et j’ai repris dès l’atterrissage à la maison (de Quaqtaq) mes Sorel noires. Hum… C’est bien parce que je suis raisonnable… Parce j’aurais pu me permettre cette petite coquetterie. Allez, j’aurai tout le temps de les user à mon retour pour la relâche du printemps, à déambuler de café en café sur Mont-Royal avec Elaine à reprendre des nouvelles du monde entier. Pour l’instant, je profite du confort, celui de la chaleur avant la mode. Celui où je ne me sens pas coupable de ne pas regarder le Téléjournal parce que rien de ce qui est dit ne concerne directement notre petit îlot de vie. Un confort tout relatif, nombriliste assumé, que j’apprécie beaucoup… le temps de vivre une aventure toute simple, qui n’entrera certainement pas dans légende parce que les canots volants, ceux d’Air Inuit, sont loin d’être diaboliques.

Bonne année!