jeudi 26 mars 2009

Épisode 37 Kanuk et NorthFace peuvent se rhabiller


L’an passé, à cette date, je me suis achetée mon beau manteau Kanuk couleur ciment en prévision de l’hiver nordique. Je venais à peine de passer l’entrevue d’embauche à la Commission scolaire Kativik; je n’avais pas encore l’emploi. Je faisais de la visualisation en prévision de partir! Avec un manteau et ses salopettes assorties, je pouvais déménager au loin (et, au pire, si je n’avais pas eu de poste au Nord, j’aurais été chic et au chaud à aller travailler dans n’importe quelle école, habillée de blanc ciment, les salopettes laissées dans mon placard!).

Par contre, je l’ai consciencieusement choisi Kanuk ce manteau parce que c’est un design et une fabrication québécoise. J’imaginais qu’il était bien pensé pour affronter l’hiver, peu importe la latitude dans la belle province. Maintenant que je le "teste", je peux affirmer qu'il est tout à fait approprié pour le temps glacial et les vents forts : j’en suis bien heureuse! Bel investissement, mais je n’ai pas croisé beaucoup d’autres Kanuks au Nord. Chez les autres halunaak (ceux qui ne sont pas Inuit), les Canada Goose et autres NorthFace ont la cote. Ils semblent être assez efficaces et bien appréciés par les amateurs de plein air. Chez les Inuit, aucun nouveau design ne semble être près de remplacer les habits extérieurs traditionnels.

Pour les pieds, il y a les kamiks, bottes de peau de phoques. Ils tiennent au chaud. Contrairement aux gosses bottes Sorel, les kamiks empêchent l’eau et le froid d’entrer tout en laissant les pieds respirer.

Pour les mains, les mitaines de cuir ou de fourrure, faites et enjolivées par les dames du village, sont toujours à la mode, hiver après hiver, depuis des centaines de saisons. Les parkas aussi. Ma collègue Terra s’est d’ailleurs fait faire des kamiks et un parka par des couturières du village.

Pour les bébés, il y a l’amautik, ce superbe manteau de femme au capuchon démesuré qui accueille le petit. Collé sur le dos de sa maman, il n’a pas besoin lui-même de vêtements d’extérieur pour être bien au chaud. Le grand capuchon, avec son gros cordon, peut facilement être rabattu par-dessus la tête du bébé pour le recouvrir complètement. Disparu dans cette couverture matelassée, il est protégé des pires tempêtes, instantanément! Pour les poupons, on emmaillote d’abord le nouveau-né dans un timoutik; on le transforme en paquet-cadeau pour qu’il se tienne bien droit. Les enfants plus vieux sont tout simplement assis dans le fond du capuchon, une jambe de chaque côté. Seul désagrément, c’est qu’il faut un autre adulte avec la maman pour bien placer le petit dans son dos. J’ai été très impressionnée en l’enfilant, de sentir ma voisine Olivia, bien assise derrière moi, instantanément bercée, rapidement endormie par la petite marche qu’on a faite ensemble.

En googlant « amautik », j’ai appris que c’est un habit typique des communautés inuit canadiennes : on ne le retrouve nulle part ailleurs dans le territoire circumpolaire. Au Groenland par exemple, les parents se fient sur des petits traîneaux pour promener la marmaille. Ici, encore aujourd’hui, aucune poussette. Tous les bébés dans le dos de leur maman. Quand on croise une femme en amautik, on la salue et on se penche aussitôt au-dessus de son épaule pour sourire au bébé. Ça doit être stimulant pour le petit! Psychologie du développement mise à part, une maman et son bébé dans un amautik, c’est tout simplement beau!

Par contre, si tous ces beaux habits traditionnels sont toujours d’actualité, les matériaux pour les fabriquer ont été revus et corrigés à l’ère techno-industrielle. Le polar est beaucoup plus léger que la fourrure de caribou, le nylon, plus souple et pas cher. Les mitaines sont faites de peaux de lapin, des fourrures achetées par catalogue, traitées, assouplies et, la plupart du temps, teintes aux couleurs farfelues. Les parkas sont munis de doublures hi-tech, brodés d'écussons des Canadiens ou des logos de groupes rock; les amautiks sont lavables. Si les traditions millénaires ne sont pas toutes à remplacer à l’ère d’internet, il n’est pas interdit de les améliorer!

Un parka traditionnel en goretex : pourquoi pas! Et à quand un amautik chez Kanuk?

jeudi 19 mars 2009

Épisode 36 De la neige et du cash

Dans l’imaginaire de plusieurs, le Nord c’est l’Eldorado, un lieu où on peut aller travailler et revenir chez soi avec une fortune, devenir riche en moins de temps qu’il faut pour dire
« blizzard ».

Oui, les salaires nordiques sont intéressants… mais c’est à prendre avec des pincettes! Ça dépend beaucoup du corps de métiers auquel on appartient. Un ingénieur, dans une mine de tous les dangers, aux quarts de travail impossibles, est très grassement payé (quoique rapidement épuisé!). Les travailleurs du milieu de la santé, avec beaucoup de responsabilités, ont de très bonnes rémunérations, d’autant plus que ses déplacements d’un village à l’autre sont fréquents (ce qui n’est pas toujours jojo).

Les enseignants? Les enseignants ne sont pas à plaindre, mais ce qui est déposé dans nos comptes en banque, de deux semaines en deux semaines, ça n’a rien à voir avec le gros lot du 6/49.

Il faut savoir que les profs du Nord sont payés selon la même échelle salariale que tous les autres enseignants des écoles publiques. Après tout, on fait le même boulot, avec des enfants semblables, dans des écoles modernes, aux heures scolaires habituelles. Mais, parce qu’on est loin, en guise de rémunération spéciale du Nord, on reçoit aussi deux primes. La première sert à motiver les candidats à déménager au Nord de la ligne des arbres, malgré l’éloignement et le climat rebutant. Cette allocation augmente en fonction de l’isolement de la communauté. L’autre prime, un peu plus grosse à chaque année scolaire terminée, c’est pour faire en sorte qu’on reste le plus longtemps possible! À travailler à Quaqtaq présentement, je touche donc mon salaire habituel d’enseignante avec quelques milliers de $ de plus. Pas assez pour dire Bye bye Boss, mais assez pour savoir que je vais revenir au Sud à la fin de l’année riche. Pleine aux as!

C’est pas tant le salaire net qui fait une différence; c’est que je ne dépense pas un rond! Niet, rien, simplicité (et même pas volontaire). Faut dire que je suis arrivée bien préparée avec tout ce dont j’avais besoin pour passer l’année. Mais, pas de magasins : pas de tentations! Pas de restos : pas de pourboires. Un milieu de travail pas pincé : une paire de jeans minimalement propre fait l’affaire (quoi que ceux qui me connaissent savent que je m’efforce de porter jupe et talons une fois par semaine, même en pleine tempête!).

Même pas la possibilité d’acheter un journal dans le village.

Et je ne suis pas tentée de magasiner sur Internet (sauf une fois, fer à cheveux, pendant une nuit d’insomnie… moment de faiblesse)!!

C’est de là qu’elle vient, ma richesse nordique.

Mais la question, c’est qu’une fois accumulée, la richesse, va-t-elle m'être aquise? Je pense bien que oui : j’ai maintenant un bon coussin et un projet éventuel d’achat d’un hot duplexe urbain, en copropriété avec Elaine.

Et la sagesse, elle? La sagesse va-t-elle me rester? La simplicité, celle qui est volontaire, l’épuration des besoins, réflexion sur la fugacité des biens consommables… ? Hum… Au départ, je n’ai jamais été la reine de la bébelle, mais serais-je capable d’être à Montréal stoïque devant les étalages? Devant les piles de journaux?? Honnêtement, je ne pense pas être capable de passer des semaines sans même toucher à de la monnaie comme ici!

J’ai déjà hâte à Pâques, durant notre semaine de rêlâche au "Sud", pour me faire dorloter chez Valeh, la plus chouette esthéticienne du Plateau. Et puis par Marc, le dieu des cheveux, rue St-Laurent. Ça va me prendre du nouveau linge, profiter de tous les cinémas dont je me suis privée et m’autoriser à sauter dans un taxi à la moindre goûte de pluie.

Ah, et perdre au poker contre les amis!!

Pour l’instant, dans ma toundra, toute simpliste et zen, je suis en train de lire simultanément No Logo (La tyrannie des marques, le livre culte de l’altermondialisation) et l’Accro du Shopping. En moi vivent présentement, simultanément, la hyppie et l’Accro, sans aucun paradoxe. Faut pas trop chercher à comprendre!

jeudi 12 mars 2009

Épisode 35 Le très grand arbre de la toundra

La toundra est cette formation végétale polaire caractérisée par de courtes herbes, des mousses, du lichen et des petites fleurs. La période de croissance des végétaux n’étant pas assez longue au Nord, il n’y a pas d’arbre qui daigne faire l’effort d’y pousser.

Pas d’arbre, sauf un : l’arbre généalogique. La saison de croissance de cet arbre géant étant de 365 jours par année, il se porte à merveille!


L’éducation sexuelle, au Nord, c’est pas le sujet le plus populaire même s’il y a de très belles initiatives. Beaucoup de campagnes d’informations émanent de la Direction de la santé publique. Il y a aussi des initiatives personnelles. Dans cette catégorie, j’admire beaucoup ma collègue Erin, enseignante au secondaire anglophone de mon école. Elle a organisé une activité d’une demi-journée, juste pour les adolescentes du village, pour parler du plaisir, du désir, de la grossesse, des problèmes et des infections associées à une vie sexuelle active. J’ai pas pris de photos, vous comprendrez que c’était plutôt délicat comme situation : il fallait faire régner un climat de confiance pour jaser sexe. Mais durant ce samedi après-midi là, j’avais la responsabilité de faire une conférence sur la contraception. C’était pour moi un sujet tout indiqué, j’ai toute une crédibilité en la matière! Et non, ça ne vient pas de mes années d’études en biologie ni de mon expérience d’animation de cours sur la sexualité et la puberté. Ma crédibilité me provient tout simplement du fait que j’ai 30 ans et que je n’ai pas d’enfant! Je passe pour la fille qui s’y connaît en la matière… sinon (c’est tout à fait évident!) j’aurais autour de moi 4 ou 5 marmots à l’heure où l’on se parle !


L’éducation sexuelle est, malgré tout, plutôt minime, surtout lorsque comparée à l'immense accès à l'éducation porno qu'Internet fourni sans aucune considération de santé publique. Il y a une réticence certaine à se procurer des moyens de contraception, dans une communauté ou tout se sait. Ajoutons à ça une quantité indéterminée d’alcool (qui fait facilement oublier le plus élémentaire des condoms, ici comme ailleurs), le peu d’occasions de profiter calmement de l’intimité (les maisons des Inuit sont surpeuplées), certaines propensions à la violence sexuelle (dont il ne faut surtout pas parler)… et l’expression planning familial n’a aucun sens ici. Une grossesse, ça ne se planifie pas souvent; ça arrive, c’est tout. C’est naturel ! Sur 350 personnes dans le village, on compte présentement 11 femmes enceintes à Quaqtaq. 11. Dont deux élèves du secondaire.


L’avortement n’est pas chose courante. Il n’est, de toute façon, pas cautionné par l’église évangéliste qui a beaucoup de poids chez les Inuit. Il n’est pas non plus pratiqué dans les CLSC des villages : il faut se rendre à un des deux hôpitaux du Nord, voire à Montréal, ce qui limite la supposée confidentialité de cette procédure médicale.


Et, surtout, il reste valorisé pour une jeune femme, ici, de porter un enfant. Si celle-ci n’est pas en mesure de s’en occuper, de fonder une famille avec son amoureux, c’est pas grave! L’adoption est chose courante. Presque banale. Ça rend l'arbre généalogique très difficile à suivre!

Le village grouille d’enfants. Le village grouille aussi d’infections transmissibles sexuellement. Les deux vont de paire!

De bébé en bébé, l’arbre se développe; il y a des branches là où on n’en imaginerait pas nécessairement. C’est beau, c’est plein d’espoir. Plein d’espoir pour la communauté. Mais, sur le plan individuel, pour mon élève de 18 ans, en secondaire 3, toute contente de son bedon rond, je me pose la question quant à la scolarité de la jeune maman. Entre une couche et un biberon, entre une querelle de jeune amoureux et une nouvelle grossesse qui lui tombera dessus comme un deuxième (troisième… et sûrement septième) coup du destin, qu’en est-il de l’émancipation de la femme inuit?

8 mars, jour de la femme.

jeudi 5 mars 2009

Épisode 34 Tout ce qui monte ne redescend pas nécessairement

J’en ai déjà parlé. Localement, il est possible de se procurer de la viande et du poisson. Mon village a aussi une petite mine pour les besoins locaux en gravier. Une station d’épuration des eaux. À l’échelle régionale, c’est tout ce qui est produit. Tout le reste doit être acheminé par voie de mer ou par les airs.

Pas de route.

Le pétrolier ravitaille la station-service de la communauté et la centrale au mazout d’Hydro-Québec. Il passe une fois tous les ans.

Le « Sea lift » est bien efficace. Le bateau part d’un port du St-Laurent pour venir porter cargo personnel, autos, nouvel autobus scolaire, matériaux de construction et beaucoup de caisses de bois remplis de trésors personnels. De la nourriture non périssable. Mais il ne passe lui aussi qu’une fois par année, et livre la marchandise seulement si la température lui permet d’accoster. Faut être organisé. La municipalité, l’école, le magasin général, le service de police, le CLSC et puis les individus qui veulent se prévaloir de ce transporteur doivent s’y prendre d’avance et commander quantité de matériel pour vivre un peu plus d’un an, dans un confort minimum!

On monte ainsi quantité impressionnante de matériel. Mais tout n’arrive pas par bateau…

En fait, la plus grande partie des biens de consommation courante arrivent par avion. Tous les jours des dizaines de boîtes, de la marchandise pour la Coop, de la nourriture fraîche et surgelée commandée des épiceries qui assurent le service aux communautés du Nord, des commandes par catalogue, de la poste. Des paquets-surprises envoyés par Maman! Tout les jours l’avion ouvre sont ventre pour libérer des boîtes et paquets. Le service de livraison est rapide de Dorval.

Ça semble beaucoup de matériel tout ça! Au Nord, comme partout ailleurs, on est en mode de consommation. C’est l’air du temps, facilité par les commandes téléphoniques, les magasins en lignes et l’efficacité des services de livraison.

Mais pas question que ces bateaux et ces avions redescendent au Sud avec des vidanges, ça complexifierait la logistique de gestion du matériel à bord et ça augmenterait substantiellement les frais de déplacement du voyage du retour. Les bateaux montent pleins et redescendent toujours vides. Les avions montent et redescendent avec passagers, de la poste, des commandes par catalogue de vêtements qui ne sont pas de la bonne taille. Pas question d’utiliser du volume de cargo aéroporté pour des rebus.

Évidemment, comme n’importe quelle organisation humaine en situation de ressources limitées, on gaspille le moins possible. On utilise les deux côtés d’une feuille de papier, les vêtements on les raccommode, on les use, on en abuse avant d’en disposer.

Mais quand on dispose ici, on dispose tout simplement. Pas de bac de recyclage pour le pot de confiture ou la boîte de conserve. Pas de gestion des déchets toxiques. Pas de système de recyclage des pièces d’ordinateurs désuètes. On envoie le tout au dépotoir à ciel ouvert, en bordure du village.

La grande partie de ce qui est amené par notre camion-vidange est mise en pile et régulièrement incinérée. De l’autre côté, il y a les articles qui peuvent peut-être être réutilisés. C’est ce qu’on appelle le Canadian Tire, mais ce n’est pas organisé en allées. Faut juste aller fouiller. Préférablement l’été, parce que l’hiver c’est bien évidemment enneigé.

J’habite dans la nature, au beau milieu de nulle part, mais je profite d’un confort (bien modeste aux yeux de certains mais d’un confort quand même). En multipliant cette quantité de matériel disposable par le nombre de boîtes de carton et autres quantités d’emballages pour livrer cette cargaison, et ça fait que dans la belle nature, on se ramasse avec un beau dépotoir.

Scène un peu spéciale.