jeudi 9 avril 2009

Épisode 39 La culture c’est comme la marmelade

Depuis le début de l’année scolaire, nous avions dans l’école un comité pour organiser les journées de la culture inuit. Les membres de ce comité se sont réunis plusieurs fois : il fallait être fin prêt pour fêter la tradition. Tout plein d’activités et autres démonstrations! Après de longs mois de travail, de consultations et de gestion de budget, le comité a convoqué les employés de l’école en assemblée. Présentation, horaire et discussion : les journées de la culture se dérouleront jeudi après-midi et vendredi toute la journée, avec tous les tambours et autant de trompettes. On prévoit une grande fête du monde inuit!


La cérémonie de jeudi a été très jolie. La lampe d’igloo a été allumée avec beaucoup de majesté par une aînée. Deux jeunes ont chanté de la gorge. Tous les élèves dans le gymnase, nous avons regardé des films 8mm des archives de la communauté. Des films qui semblent dater d’une époque lointaine et qui n’ont en fait que quelques 40ans. La chasse, la pêche, les hydravions qui passent une ou deux fois par été. Nostalgie d’un autre temps. Étendus sur des tapis bleus, les enfants riaient de voir leurs grands-parents à leur âge. C’était sympathique. Mais ça ne pouvait durer éternellement. Les jeunes ont commencé à se déconcentrer, à essayer de se faufiler pour partir à la maison. Il falllait sauver la fin de journée. On trafique un peu l’horaire, on procède rapidement au un tirage des prix de présence : des bonbons, des bébelles, rien de bien traditionnel. C’est pas grave, c’est la fête! Et ça continue demain.


Le lendemain, toute l’école est conviée au lac gelé pour une série de 6 activités. Une belle parade, tous les élèves et leurs enseignants sont partis pour rejoindre les animateurs des ateliers d’activités traditionnelles!


Euh… pas 6 activités, juste 5 : les traîneaux, les chiens et leurs maîtres du village, prenant part à la course Ivakkak, ne sont pas là. On avait oublié qu’à cette date, ils sont occupés, quelque part entre deux villages nordiques, à courir pour l’honneur de la coupe du Nunavik. Donc pas d’atelier sur les techniques d’attelage.


Pas 5 activités non plus, juste 4 : la visite de l’igloo ne peut avoir lieu. L’igloo a été vandalisé, il ne reste à peine que quelques blocs de neiges piétinés.


Hum… Pas 4 activités, juste 3 : le conteur qui devait venir faire vibrer des légendes anciennes est introuvable. La journée est belle, il est sûrement parti à la pêche (sans avertir personne).


Puis quoi encore? Pas 3 activités, juste 2 : personne n’a pensé à apporter des outils pour sculpter la neige. Qu’à cela ne tienne, on court à la maison la plus proche, on emprunte des couteaux à beurre, quelques limes à métal et du colorant alimentaire et on s’amuse dans la neige en attendant les autres animations…


Quelles autres animations? Parce qu’il n’y a pas 2 activités, mais bien juste 1 : on voulait poser des collets, mais on n’avait pas encore pensé qu’il fallait le faire au moins la veille pour avoir des prises…


Reste une seule activité donc. Et il a fallu attendre que la tente soit montée. Une fois bien plantée, on y a bu du thé étendu sur une peau de bœuf musqué.


Bref, on a passé une belle matinée dehors, à jouer dans la neige et à se réchauffer un peu autour du poêle Coleman. En après-midi, on a demandé à tous les élèves de porter leurs habits inuit traditionnels. On s’est fait des parades de mode, on a pris des tonnes des photos, on a procédé à un tirage (d’objets traditionnels cette fois!).


Puis on a tout enlevé et on a joué au ballon-chasseur.


Ce fut une belle journée. Mais pas la journée de fête de la culture inuit attendue.


Comme quoi, la culture, c’est un peu comme la marmelade : des fois, on s’attend à une petite douceur et ça laisse plutôt un goût amer.


***


La poussière retombée, après les déceptions et les reproches, la page est tournée. On apprend en fin de semaine que l’attelage de Harry Okipk de Quaqtaq est arrivé en 3e place dans la course Ivakkak (malgré le décès de 2 de ses chiens en cours de route). Immédiatement, on sort les tambours et les trompettes, spontanément et sincèrement. Tout le monde célèbre le retour des champions locaux : le maître, son partenaire et leurs chiens. Tout le monde est heureux que la tradition des traîneaux soit encore bien vivante.


La culture, c’est un peu comme la marmelade : malgré l’amertume, c’est quand même tout sucré, tout bon... c’est bien apprécié! Et, pour peu qu’on y fasse attention, ça se conserve quand même relativement bien.


Longue vie à la culture (et à la confiture!).



2 commentaires:

Elias a dit...

Bonjour Marie,

Et félicitations à vos champions locaux. Ils n'ont pas eu besoin de comité pour participer à la course! Sais-tu ce qu'on dit du chameau? C'est un cheval conçu par un comité. Très beau compte rendu, il me rappelles une photographe de ma connaissance qui, d'un bloc de béton dans une ruelle fait une belle photo. Est-ce de la culture? de l'art? ou plutôt l'amour de l'un et de l'autre. Soumettons ce questionnement à un comité.

Marie-France a dit...

Chère Marie,
Depuis que tu es partie, je n'ai pas manqué un seul rendez-vous hebdomadaire avec toi via tes écrits. Tes billets sont pleins de sensibilité, de perspicacité, d'humour. Ils sont pertinents, intelligents et remplis de chaleur même s'ils nous transportent dans le Grand Nord.

Sans t'enlever aucun crédit, je souhaite féliciter ici Monique et Élie pour la qualité de leur présence auprès de toi depuis maintenant 31 ans. Je sais combien, ô combien, l'accompagnement des parents est déterminant par rapport à ce que nous devenons.

Je suis bien fière de toi et très heureuse que tes jeunes élèves aient pu bénéficier de cette année à tes côtés.

Je te souhaite un bon congé pascal.
Longue vie à toi et aux tiens!
Je t'embrasse,
Marie-France