« Pi-toi, qu'est-ce qui t’a motivé à monter au Nord? »
Dès la toute première conversation entre deux non-inuit, la question est soulevée. Systématiquement.
Le trip? Pas d’emploi? S’éloigner de la belle-mère? Amateur de plein air? S’isoler pour faire une maîtrise sur Internet? Fuir la justice… Tout a été entendu. Tout est valable. La question est posée, juste pour faire la conversation, pour construire un pont entre deux étrangers réunis par défaut en terre arctique.
Dimanche, j'ai soupé avec ma coloc et deux nouvelles amies infirmières. Après le repas, pendant les pauses commerciales du Banquier qu’elles m’ont fait découvrir, inévitablement, on en est venu là.
- Pi-vous autres, pourquoi être montées au Nord? Nous, on sait pourquoi les infirmières montent au Nord, mais vous, les profs, pourquoi?
- Ah oui? Pourquoi c’est évident que les infirmières montent et pas les profs?
- Ici, c’est sûr qu’il y a le salaire : plusieurs fois celui d’une infirmière au Sud. Job de jour. 2 gros mois de travail, un mois de congé complet chez nous. Mais c’est surtout les responsabilités de clinique qui sont intéressantes : presque comme si on était médecin considérant qu'il y en a pas au village. On n’aurait jamais cette pratique professionnelle si on était ailleurs. Mais, vous autres, travailler dans une école, être enseignante, ça serait pas mal partout pareil, non?
Non, oui, euh… pas tout à fait.
Oui, je suis enseignante ici comme je le serais partout ailleurs. J’ai une jolie classe, deux groupes d’élèves, je peste contre les retardataires, je remplis des bulletins, je chiale régulièrement contre la photocopieuse.
Mais, nulle part ailleurs, je n’aurais la pratique professionnelle que j’ai ici.
Par exemple: jamais je ne pourrais avoir à donner de cours devant un auditoire composé de… zéro élève! Bon, parlons-en, parce que ça m’est arrivé quelques fois maintenant. Dans mon groupe de 6 élèves, les plus vieux, un ne vient plus du tout, un autre se présente sporadiquement et les 4 autres sont généralement assidus… mais pas toujours. Surtout pas à la première période le matin. Il arrive que les 4 élèves ne soient que 3, ou 2, voire 1 seul… voire pas du tout. Assez étrange comme situation.
Je me suis déjà fait dire « Chanceuse, tu es payée pour te limer les ongles! »
Oui. Mais.
Oui, mais l’attente est difficile. Que faire s’il y en a un qui se pointe? Lui faire la morale alors que les autres qui n’ont même pas fait cet effort se défilent de mon discours plate? Que faire au prochain cours, pénaliser tout le groupe? Faire comme si j’avais donné le cours et puis continuer à la séance suivante sachant que TOUS mes élèves n’auront pas assimilé les notions précédentes? Oui, mais. Je n’aime pas être dans cette situation… Oui, j’ai été payée quelques 45 minutes à me limer les ongles, mais la manucure est ratée, le travail intérieur dépassait largement l’énergie habituellement nécessaire pour donner un cours. Jamais je ne répondrais à « Pi-toi? » par le souhait d'être payée pour ne pas enseigner….
Je suis rappelée à l’ordre. « Pi-toi, alors, pourquoi t’es prof au Nord? »
- Parce que, quand ils se présentent tous en classe pour un examen important (et ils se présentent généralement pour les examens importants), après m’être battue pour obtenir le silence (comme dans n’importe quelle autre école) et les avoir bien guidés dans la lecture et le compréhension de leur évaluation (comme dans le cadre de n’importe quelle circonstance semblable), corriger 5 examens, c’est le bonheur!! 5 examens, quelques 15 ou 20 minutes, ça c’est un avantage professionnel qui vaut la peine au Nord! 180 copies à corriger… ça ne me manque pas du tout!Pi-oui, enseigner au Nord, ce n’est pas toujours facile, mais comme pour les infirmières, c’est un boulot qui n’existe pas tel quel au Sud!
5 copies à corriger… Wow!!
3 commentaires:
Mais c'est la foule dans votre salon et la classe est impeccable. Pi-moi je reste dans le sud à admirer les exploits de ceux qui sont capables de partir dans le nord.
Parlant de 180 copies... c'est justement la fin d'étape au sud!
Pense à nous un tit peu!!!!
Mon crayon rouge se fait aller le popotin!
Heureusement pour moi, dans "l'univers" techno, il y a moins de correction.
Ce soir à Radio Canada, il y avait un reportage sur la pénurie de logements chez les inuits. Les maisons sont surpeuplées parait-il et cela entraîne une multitude de problèmes (violence, démotivation à l'étude pour les jeunes, manque de sommeil). Tu pourrais nous donner ton point de vue!
Ps: excellent billet, comme d'habitude!
Elaine xx
Publier un commentaire